Israël ne peut connaître de vraie laïcité, pour le bras droit de Netanyahou

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« Alors que beaucoup de grandes démocraties du monde peuvent avec succès et élégamment séparer la religion de l’État, en Israël nous ne pouvons pas. » Tels sont les mots prononcés par Eli Groner, le directeur du bureau du Premier ministre israélien, le 4 décembre dernier. Le bras droit de Benyamin Netanyahu déclaré Eli Groner s’exprimait lors du deuxième Sommet annuel des médias juifs à Jérusalem.

Année après année à la fin de la Pâque juive, les participants achèvent la fête en se remémorant un mot d’espérance durant le rituel du séder, « L’an prochain à Jérusalem. » Des mots d’une prière entrée au Moyen-Âge dans le texte du séder, la Haggadah, pour bénir la Ville sainte que sont appelés à rejoindre les Juifs qui ne sont pas déjà en Israël, et se souvenir de la liberté après la servitude dans l’Égypte des pharaons ; des mots qui font écho au Psaume 137 dont la poésie nostalgique évoque le séjour à Babylone, loin de la terre de Hébreux, et dont les Juifs scandent le verset « Si je t’oublie, Jérusalem, que ma main droite se dessèche ! » Beaucoup de Juifs demandent à rejoindre la terre de Jérusalem au nom de la Loi du retour, votée deux ans après la proclamation de l’État d’Israël, même s’ils ne pratiquent aucunement le judaïsme.

Le pays bâti par des laïcs est un paradoxe

Le pays bâti par des laïcs est un paradoxe, il est juif au sens de présence historique en Judée, mais aussi dans l’acception d’une identité religieuse juive, sans être une réelle théocratie ni vraiment avoir de religion d’État, même si l’état civil relève du religieux. Il prétend représenter des Juifs à travers le monde même s’ils ne sont pas ses ressortissants. C’est ainsi qu’Israël alla chercher des milliers d’Ethiopiens de confession juive quand leur pays était menacé par la famine ou la guerre civile, au cours des fameuses Opération Moïse, menée secrètement à cheval sur les années 1984 et 1985, ou Opération Salomon en 1991. Et c’est à ce titre qu’Adolf Eichmann fut jugé en Israël alors qu’il n’était coupable de crimes qu’envers des Juifs et non des Israéliens : c’était peut-être là le moyen le plus légitime de le juger, l’État hébreu ayant été créé suite à la Shoah et nombre de ses citoyens lors du procès étaient encore directement marqués par les crimes nazis ; mais, au-delà de la question de la compétence judiciaire, cela signifiait également une préoccupation d’Israël pour les Juifs dans le monde.

Le souhait d’un havre laïque pour une diaspora définie par l’identité religieuse

Le directeur de cabinet du Premier ministre estime que les journalistes devraient passer moins de temps à parler de la politique étrangère israélienne et consacrer davantage de lignes à sa réalité domestique : « Enlevez le couvercle du pot, entrez dedans et faites plus attention à notre politique intérieure », a-t-il supplié. Eli Groner considère que les médias devraient voir que la diversité de la société juive israélienne n’empêche pas un brassage, et que l’unité se fait par la religion que les citoyens affichent même dans leur vie professionnelle. Une probable référence à l’éthique juive enseignée par le Talmud qui a imprégné toute une éducation plusieurs fois séculaire, encore religieuse ou laïcisée, et qui a formé la conscience des juifs pratiquants ou non. Et Groner de conclure sa démonstration en expliquant que cette diversité dans le judaïsme conduit les Israéliens à voir leur Premier ministre comme « le dirigeant du monde juif ». Faut-il voir dans cette diversité regroupée derrière l’unicité d’un dirigeant qui ferait l’unité de tous une exclusion des non-Juifs ?

L’idée d’un État juif n’est pas celle d’un État religieux dans sa genèse

L’idée d’un État juif n’est pas celle d’un État religieux dans sa genèse, il s’agissait de créer un havre pour les Juifs persécutés à travers le monde. C’était le projet de Theodor Herzl, issu d’une famille juive considérant qu’il fallait s’assimiler à la population locale, qui initia le projet sioniste après l’Affaire Dreyfus où l’antisémitisme l’emporta un temps sur la justice. Parmi les dreyfusards, la famille du futur général de Gaulle, lequel oscilla entre l’antisémitisme de ses années de militaire en Pologne qui avait horrifié sa sœur lors de leurs échanges épistolaires, et son amitié pour les nombreux juifs de son entourage, dont l’écrivain Romain Gary, et qui s’en prit à Israël en parlant de « peuple d’élite et dominateur » au lendemain de l’incroyable victoire israélienne dans la Guerre des Six Jours, égratignant une certaine forme d’exclusivité juive. L’attitude d’un de Gaulle nourri au lait de la bienveillance envers le capitaine Dreyfus, dont le drame allait constituer un ressort pour la création d’Israël des décennies plus tard, et celle du même homme, devenu chef de l’État français agacé par Israël en 1967, quelques jours après avoir conseillé au pays encerclé de ne pas attaquer le premier, illustrent le sentiment que peut générer la particularité de la démocratie israélienne.

Pourtant, hormis le domaine matrimonial ou celui du casher dans la restauration publique, ce sont des lois laïques qui s’imposent à tous

Pourtant, hormis le domaine matrimonial ou celui de la restauration dans les établissements et collectivités publiques, ce sont des lois laïques qui s’imposent à tous, comme le souhaitait le fondateur d’Israël et son premier chef du Gouvernement, David Ben Gourion, opposé au rabbin Avraham Yeshayahu Karelitz, chef informel des ultra-orthodoxes, les haredim. Ben Gourion était un moderniste partisan d’une identité non pas juive, mais israélienne, sioniste. Cependant, la naissance d’Israël n’avait pu avoir lieu que parce que, siècle durant, la diaspora était restée unie autour d’une sagesse sacrée, religieuse. Dans la jeune nation en devenir, pour éviter que les haredim ne constituent un État dans l’État, le Premier ministre sioniste avait alors fait des concessions aux religieux, laissant les questions d’état civil, dont les affaires matrimoniales, aux mains des tribunaux rabbiniques, faisant du shabbat et des jours de fête juifs des jours fériés sans activité publique, et imposant le casher dans les cantines des services publics et de l’armée. Et il avait promis l’interdiction de la vente de viande de porc.

Ribs de porc dans la rue, militaires chrétiens et druzes : un Israël moins juif

Aujourd’hui, les Juifs israéliens dépendent toujours des tribunaux rabbiniques pour les questions d’état civil. Et la certification casher de l’État existe toujours, qui risque d’ailleurs d’obérer l’économie israélienne à laquelle elle coûte 770 millions de dollars chaque année, du fait du quasi-monopole du Grand Rabbinat sur la supervision casher. Les Israéliens ne se voient en revanche pas opposer par les autorités l’interdit du porc, et peuvent même déguster des travers dans la rue le soir, en sirotant un verre. Un acte de défiance envers les religieux, en partie, mais aussi l’envie de la nouveauté, de profiter d’un droit reconnu par la loi qui admet l’élevage porcin par les Arabes chrétiens israéliens. Plus généralement, si la loi comprend encore une part de concession au judaïsme, la Cour suprême n’hésite pas à s’inspirer des jurisprudences occidentales ; américaine quant à la liberté, européenne quant à la dignité humaine, et laïcisant toujours la vie publique. Et, à ce titre, le juge de la Cour Eliezer Rivlin, en fonction en 2012, écrivait alors dans la revue de droit canadienne McGill :

« Les juges en Israël regardent bien à l’extérieur. Malgré la traditionnelle croyance juive que le peuple d’Israël est une lumière pour toutes les nations, notre système juridique ne partage pas l’idée que nous sommes les seuls à pouvoir briller et montrer la voie aux autres nations. »

Des arabes israéliens chrétiens et des druzes servent à titre volontaire dans l’armée

Si certains ultra-orthodoxes ne reconnaissent pas cet État sioniste, et que les membres de cette communauté sont exemptés du service militaire, des Arabes israéliens chrétiens servent à titre volontaire dans l’armée, mais également des Druzes, une communauté musulmane mystique, hétérodoxe et considérée comme sectaire au regard des canons de la sunna, qui est généralement fidèle au pays où elle vit, en l’occurrence Israël. Ces musulmans qui refusent la charia, et ne jeûnent pas durant le mois du Ramadan, professent une fidélité sans faille envers Israël. L’armée invite les responsables de leur communauté pour les mettre en valeur, reconnaissant ainsi l’importance morale de ce service volontaire qui concerne 85% des hommes druzes. Ce volontarisme a peut-être pour origine leur acceptation par la société israélienne, dans le respect de leur identité, ce qui n’est pas le cas partout ailleurs. Le général de brigade Mofid Ganem, druze, est fier de décrire l’apport de sa communauté à Tsahal :

« Nous mettons à profit notre connaissance inégalable du territoire. Pendant la Guerre du Liban, les soldats druzes ont joué un rôle important dans la collecte de renseignements sur le terrain. »

Cette participation volontaire de chrétiens et de musulmans à l’armée israélienne dans laquelle refusent de servir les ultra-orthodoxes, qui ont cependant pour doléances des demandes de nature religieuse qu’ils souhaitent voir imposer à la société, témoigne de tout le paradoxe d’Israël, État laïc, sioniste, mais également État juif, né d’une diaspora reliée par un culte.

La GayPride et la GPA pour les homosexuels, ultimes symboles de l’oubli de la religion par la loi

La sécularisation de la société israélienne ne va pas sans tension

La sécularisation de la société israélienne ne va pas sans tension. « L’an prochain à Jérusalem », a également aussi être le mot de la WorldPride, qui a tenu dans la Ville sainte sa marche de 2005 réunissant des milliers de personnes homosexuelles. La cité qui est considérée comme gay friendly accueille même un bar homosexuel. Loin des prescriptions talmudiques, mais à proximité de la colère de la population, dont l’un des membres, ultra-orthodoxe, a poignardé six participants au défilé homosexuel en juillet 2015, récidivant dix ans après avoir déjà attaqué au couteau trois manifestants du même mouvement. Certes, une telle violence n’est pas revendiquée par tous les ultra-orthodoxes, cet acte est isolé, mais ce qu’il montre en creux, c’est la nuance au discours d’Eli Groner parlant d’impossibilité et de refus des autorités de séparer le religieux de la sphère publique. Au-delà des seuls ultra-orthodoxe, c’est le judaïsme qui ne saurait pourtant accepter de GayPride, et si les habitants juifs, musulmans et chrétiens de Jérusalem s’opposaient à cette marche, c’est le pouvoir politique, la Knesset, qui l’avait autorisée, confirmé en cela par une Cour suprême peu religieuse en 2006. Et c’est le Gouvernement de Netanyahou qui a ouvert la porte à la gestation pour autrui aux homosexuels en 2014.

Le chef du bureau du Premier ministre déclarait :

« C’est votre travail de journalistes de comprendre notre ADN [...], de rendre Israël plus explicable au monde. »

Il faut bien constater que cet ADN connaît des altérations, Israël entrant toujours plus dans le projet de modernité séculière souhaité par ses fondateurs, laissant simplement quelques prérogatives aux religieux pour éviter qu’ils ne s’isolent trop, mais par lesquelles les Juifs qui ne sont pas ultra-orthodoxes se sentent de moins moins tenus, surtout ceux prônant une vraie laïcité.

Hans-Søren Dag


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